Les conseils d’éducation de l’armée des mamans bienveillantes, un Isabelle Filliozat sous le bras, dégoulinent sur le net, débordent des réseaux sociaux et sortent de tous les trous de nez de Pinterest. “Non, ne criez pas sur vos enfants !”, “5 erreurs d’éducation qui vous éloignent de votre chérubin” et autres joyeusetés bloguesques ont envahi notre espace de lecture. Il a suffi d’une fois, d’une recherche sur le sujet pour que, étiqueté parent en détresse, on vous serve des Top 10 à suivre à la lettre, des articles de recommandations à la pelle alors que vous étiez juste en quête de la compréhension d’une personne qui traverse le même océan de solitude que vous. D’où nous viennent ces échos ? Comment le message originel a-t-il pu dévier à ce point ?
Ça partait plutôt bien…
La considération de la place de l’enfant a pas mal évolué : perçu à une certaine époque obscure comme un sac à vomi, réduit à un simple tube digestif, il occupe désormais la place centrale dans la famille, la légitimant par la même occasion – voir l’injonction sociétale de pondre des mouflets. La volonté de prendre en compte ce petit bout d’humain, retenir ses envies, ses choix – sans pour autant les accepter – , lui octroyant ainsi le rang de membre à part entière du clan, ça me plaît bien ! Sous prétexte qu’il ne mesure pas plus d’un mètre, il faudrait que sa gueule ne s’ouvre pas plus grand. Françoise Dolto, la prêtresse, donne le ton : Tout est langage, ode à la nécessité de parler à nos têtes blondes, a fièrement trôné dans ma bibliothèque, rayon “Livres de chevet”. Nos enfants savent tout, déchiffrent nos silences, nos sous-entendus et saisissent les deuxième, troisième, seizième degrés. Par loyauté, ils ne mettront jamais le sujet tabou sur la table, mais porteront à vie le poids du non-dit. On oublie régulièrement à quel point le dire peut être le faire.
Ma construction d’identité de maman a choisi ses fondements : du ciment de Dolto, avec une brique d’Aletha Solter (Mon bébé comprend tout), le tout enduit de Marshall B. Rosenberg et sa CNV. La CNV ? Communication non violente : comment bien parler à ton voisin et lui dire que sa put*** de haie est trop haute sans qu’il se sente agressé, ça te parle ? Avec cette méthode, tu as, paraît-il, bien plus de chance d’obtenir ce que tu souhaites, ici, une haie coupée au carré. J’ai essayé. Il est même venu tailler mes bordures. Pétrie de tous ces beaux principes, enrichie de tous ces concepts alléchants, me voilà dans l’aventure de la maternité, avec la belle impression d’être officiellement devenue adulte – impression envolée quand je me dispute le dernier bout de brioche avec le môme.
Les principes à l’épreuve de la réalité
Si tu es dans le même courant est-australien que moi, tu réalises maintenant à quel point ta patience n’avait jamais été mise autant à rude épreuve qu’avant ta mission de parent. Le boss qui te fait réécrire la synthèse de réunion à plusieurs reprises en t’ajoutant une pile de photocopies à lui rendre pour 16 h, du pipi de chat. La parentalité découvre des pans entiers de ta personnalité, des réactions dont tu ne soupçonnais pas même la possibilité. C’était là, en gestation dans le système limbique de ton cerveau. Et tu l’as accouché en même temps que ton bambino, mais sans péridurale celui-là.
J’ai accompagné mes filles dans les fameux pleurs de décharge pendant des heures, j’ai tourné toutes mes recommandations parentales pour y exclure les formes négatives, je ne leur ai jamais dit “Attention, tu vas tomber !”. On m’a accusé de manquer de sincérité dans mes échanges, m’obligeant à réfléchir à l’énoncé que je m’apprêtais à formuler. Serai-je en train de perdre ma spontanéité ? Et, quelques mois après moi, la blogosphère s’est emparée du concept d’éducation bienveillante, réservé, à l’époque où j’y ai plongé, à quelques initiés ou hurluberlus, selon l’angle d’où vous regardez la chose.
Les articles se ramassaient à la pelle, revêtant petit à petit les habits d’injonctions : “Il ne faut pas faire comme ça”, “Si vous faites ça, vous allez couper les émotions de votre enfant”. Dois-je mentionner les fameux groupes Facebook, où des milliers de mamans, à défaut d’y trouver les solutions-miracles attendues, répandent la culpabilité pour mieux se rassurer sur leurs propres capacités à élever leur progéniture ? Ce dégueulement de prescriptions a coïncidé avec le durcissement de mes conditions de vie. Face à l’ultimatum, j’ai eu l’impression de devoir choisir entre la santé mentale de mes filles ou la mienne. Je me suis convaincue que je devais me préserver, seule capitaine à la barre, sans moussaillon pour prendre la relève.
“Venez comme vous êtes !”
J’ai lâché prise. Je me suis rendu compte que le choix devant lequel je croyais me trouver n’existait que dans ma tête. Tu connais les croyances en psychologie ? C’est des principes que tu élèves au rang de vérité, mais qui ne prennent racine que dans ton esprit. Tu sais, les fameuses barrières qu’on est tous très doués pour mettre en travers de notre chemin. Combien d’opportunités nous passent à côté sans même qu’on ne les aperçoive ? J’ai cru que j’allais mettre le bonheur de mes filles en l’air, j’ai cru qu’elles n’oseraient plus jamais s’exprimer, ne trouvant pas l’espace pour le faire. C’est faux.
De quoi a besoin un enfant ? Les magasins de puériculture aimeraient vous persuader que vous ne vous en sortirez jamais sans le kit spécial “Premier bébé” – qui comprend, vous le saisirez plus tard, tout un tas d’articles inutiles. Votre enfant a juste besoin de vous, son adulte référent. Rien d’autre. Vous et vos colères, vous et vos explosions de joie, vous et vos coups de gueule, vous et votre fatigue, vous et votre indignation, vous et vos coups de cœur. C’est la vie, c’est la vôtre ! Pourquoi vouloir l’édulcorer avant de la servir froide à vos enfants ? Amusez-vous, fâchez-vous, écroulez-vous, dansez, tombez, relevez-vous. Ils ont des neurones-miroir ces petits, ils apprennent par l’exemple. Aucune recommandation élevée au rang de dogme ne vous permettra de faire de vos enfants des adultes heureux.
La campagne de MacDo l’a dit bien avant moi, mais l’idée est là : n’écoutez que vous, personne ne connaît vos enfants mieux que vous. Pour le reste, vivez.