Toy Story sort en 1995 et devient immédiatement un film iconique, autant pour sa popularité auprès du grand public que pour ses prouesses techniques, étant l’un des piliers de l’animation 3D au cinéma. Ce qui fait la force du film ainsi que de toute la saga des studios Pixar au-delà de sa technique irréprochable et en avance sur son temps ce sont ces personnages : des archétypes de héros d’enfance à qui on donne des sentiments. Certains personnages sont plus ancrés dans leur propre monde fictifs que dans la réalité, on s’en sert pour faire rire, donner un effet comic relief (compagnon comique), et on en profite pour développer un parcours initiatique à ces dits-personnages, parmi eux le fameux Buzz L’Eclair. Tout le principe de son développement au cours du premier film c’est l’acceptation de la réalité : il n’est qu’un jouet, il n’est pas dans l’espace, il appartient à Andy. La saga accentue la différence brutale entre son monde imaginaire (qu’on suppose être comme programmé pour lui dans sa nature de jouet) et le monde du petit Andy dans plusieurs séquences qui servent de retour à la réalité pour le personnage de Buzz et qui mettent les deux monde en exergue.
Toy Story a toujours un peu joué sur cette ambiguïté, on peut notamment penser à la séquence d’ouverture de Toy Story 2 dans laquelle on peut suivre les aventures de Buzz en tant que ranger de l’espace, avant de se rendre compte qu’on regardait juste Rex le dinosaure jouer à un jeu vidéo.
Buzz est l’archétype du héros invincible, une sorte de Superman des étoiles
Et la Walt Disney Company ne s’est pas privée d’essayer de développer un spin-off direct-to-dvd en 2000, appelé Buzz l’Eclair : Le Début des Aventures qui a donné vie à un spin-off télévisuel de 65 épisodes : Les Aventures de Buzz l’Eclair. La série comme le film sont une démonstration des aventures de Buzz dans l’espace. Les Aventures de Buzz l’Eclair s’arrête en 2001 et on ne développe plus de spin-off sur lui jusqu’à l’annonce, en décembre 2000, de Buzz l’Eclair, Lightyear en langue originale.
L’idée, née du fan de science-fiction et animateur chez Pixar depuis 1997 Angus McLane, c’est d’aller encore plus loin dans le développement du ranger de l’espace et d’y apporter un côté plus réaliste, de se détacher complètement de l’esthétique ludique. Angus pitche l’idée à Pixar en 2016, après avoir fini de travailler sur Le Monde de Dory. Le spin-off est lancé, et le film sort en juin 2022 dans le monde, le mercredi 22 en France.
Buzz l’éclair a marqué l’enfance de personnes du monde entier, et il fallait aller plus loin que le comic relief attachant dans un film plus sérieux et dédié à lui seulement. Il reste attaché à son archétype mais pas pour faire rire, pas en tant que personnage secondaire. Il est le personnage principal d’un film de science-fiction, un véritable héros des années 90, le type de rôle qu’on ferait jouer par Matt Damon ou Jake Gyllehaal, et qu’on a justement donné au Captain America lui-même, Chris Evans le premier Avengers.
Le film parvient sans souci à installer une personnalité propre à Buzz et à se détacher de celui qu’on connaît tout en gardant les mêmes traits archétypaux.
On peut se demander s’il ne manque parfois pas d’un peu plus de développement, s’il ne tourne pas en boucle sur des valeurs de bravoure Américaine, s’il n’est pas trop ancré dans le cliché du héros qui a échoué et qui n’a qu’une seule chose en tête : réparer son erreur. La question ne se pose pas seulement pour le personnage de Buzz mais aussi pour les personnages secondaires qui interviennent à partir du deuxième acte. Le film rabâche sans arrêt une idée de confiance en soi et de persévérance malgré l’adversité qui n’évolue finalement que dans les dernières minutes et chez deux personnages qui semblent être les seuls à avoir droit au développement. En dehors de ce moment, qui a toute son importance bien-sûr, on reste sur une notion plus qu’une réelle compréhension de ce que c’est d’avancer. Le personnage de Mo, comic relief lâche et fuyard, en est le parfait exemple. Il n’évolue pas malgré l’aventure qu’ils ont vécu, même pas un peu. Buzz apprend à nuancer ses émotions mais il va légèrement trop à l’extrême et ne jure plus que par l’amitié, ce qui rejoint un problème récurrent du film. On se retrouve parfois face à des moments dans lesquels le rythme ralentit, un personnage perd toute confiance puis : soit quelque chose le ramène à lui et il repart tête la première vers les étoiles, soit il se plaint d’être un tocard et quelqu’un le rassure mais il ne change rien.
La morale du film manque parfois cruellement de nuance.
On peut se demander si ce manque de nuance ne vient pas directement des inspirations du réalisateur Angus McLane, né en 1975, qui a grandi en tant que fan de science-fiction, dans les comics comme dans les films. On retrouve tous les clichés de la sf des années 80/90, à commencer par l’esthétique. Toute l’action se déroule sur une planète aux ressources exploitables, pas encore colonisée par l’humanité. La planète est d’une partie terreuse et dans des coloris rougeâtres qui rappellent Mars (la plus populaire après la lune), d’une autre partie marécageuse avec des bêtes dangereuse qui rôdent partout. Quand les humains s’installent, ils vivent dans ce qui ressemble à une zone industrielle, dans un décor grisâtre, faussement luxueux où ils bénéficient du strict minimum. C’est un décor qu’on ne cesse de voir dans des films de science-fiction à ambiance minimaliste, et c’est très certainement ce qui a inspiré Angus. L’hommage est parfaitement retranscrit, mais on peut se demander si le genre ne manque pas d’originalité esthétique, si on ne recycle pas sans arrêt les mêmes visuels et la même colorimétrie. C’est ce qui est reproché à la post-logie Star Wars parce que le public et les critiques sont lassés de l’environnement sablonneux de Tatooine et déplorent le manque d’originalité dans les visuels des planètes. La science-fiction gagnerait à se renouveler esthétiquement et à profiter des mondes qu’on ne connaît pas encore pour les rendre hauts en couleur à l’écran. Ce n’est pas un véritable reproche fait à Buzz l’éclair, puisque tout le parti pris de la direction artistique est d’avoir des références très claires puisées il y a des décennies, mais on peut malgré tout déplorer ce manque d’originalité esthétique. Ce monde légèrement générique parvient à installer ses règles, et a le mérite de ne pas s’emmêler les pinceaux dans des notions complexes telles que le voyage temporel. Les règles de l’univers sont posées dès le départ avec simplicité et n’ont aucun mal à se faire accepter.
Le film va au plus simple dans ce qu’il fait, dit, montre, c’est sa force autant que sa faiblesse. On peut quand même noter quelques petites choses qui le rendent spécial, attachant, qui font qu’il peut rester un moment dans la tête de son spectateur. Quelques personnages restent marquants et attachants très vite, on peut penser à la meilleure amie de Buzz, Alisha Hawthorne doublée par l’excellente Uzo Aduba de Orange Is The New Black ; ou la véritable star du film, celui qui au-delà d’être l’atout peluche de la Walt Disney Company est un personnage attachant, aussi fragile que badass : Sox, le petit chat robot qui va faire office de sidekick à Buzz tout au long de l’aventure. L’autre grande force du film, qui semble évidente mais qui mérite d’être soulignée, c’est l’animation de Pixar qui semble ne jamais s’arrêter de grandir et d’éblouir. La lumière et le découpage ont beau ne rien avoir d’exceptionnel, tout est très propre, rien ne dépasse, les ambiances sont travaillées extrêmement précisément.
Voir un film Pixar de nos jours c’est la garantie d’être apaisé visuellement, et cette impression étrange de faire face à de véritables acteurs tant les expressions faciales sont travaillées et nuancées.
Angus McLane aimerait prévoir une trilogie, et rien n’a encore été confirmé par Disney. Le mythe de Buzz l’éclair est immortel, on peut en être sûrs, mais à quel prix ? Est-ce que le Buzz réaliste peut arriver à la hauteur de Buzz le jouet ? Cela reste à prouver malgré une tentative de spin-off plutôt correcte et divertissante bien qu’imparfaite.