Vercingétorix, présenté comme l’un des fers de lance de la culture française, est l’un des protagonistes de la célébrissime bataille d’Alésia. Elle marque le terme de l’indépendance des peuples celtiques de la Gaule qui s’inclinèrent devant les forces de Jules César. Cette bataille a eu une influence considérable sur la construction de l’identité française. L’image iconique de Vercingétorix étant reprise dans tous les manuels scolaires sous les traits d’un solide celte à la longue chevelure, aux muscles saillants et à la moustache épaisse.
Si son existence historique ne fait guère de doute, l’emplacement de la bataille d’Alésia (septembre 52 avant J.-C.) est sujette à caution. Et agite le landerneau des historiens qu’ils soient amateurs, chercheurs reconnus dans la sphère universitaire ou plus médiatiques, à l’instar de Franck Ferrand. Vous savez le chroniqueur qui déroule son érudition à longueur d’antenne, que ce soit sur radio classique avec son émission Franck Ferrand raconte ou lors des longues après-midi léthargiques de l’été en marge du Tour de France. Nous déroulons ici les hypothèses les plus connues et d’autres qui ont émergé au début du XXe siècle ou au XIXe siècle mais sont tombées, depuis, dans les méandres de l’oubli.
La version officielle : Alise-Sainte-Reine en Bourgogne
Revenons d’abord aux sources historiques. La bataille d’Alésia est relatée dans le livre VII des Commentaires sur la guerre des Gaules rédigés par le grand Jules César lui-même. Dans ce récit l’imperator décrit le site de la manière suivante :
Cette place était située au sommet d’une montagne, dans une position si élevée qu’elle semblait ne pouvoir être prise que par un siège en règle. Au pied de cette montagne coulaient deux rivières de deux côtés différents. Devant la ville s’étendait une plaine d’environ trois mille pas de longueur ; sur tous les autres points, des collines l’entouraient, peu distantes entre elles et d’une égale hauteur. Sous les murailles, le côté qui regardait le soleil levant était garni, dans toute son étendue, de troupes gauloises ayant devant elles un fossé et une muraille sèche de six pieds de haut.
Cette description est on ne peut plus vague. Un peu plus avant dans le récit, Jules César qualifie Alésia de ville des Mandubiens. Les historiens ne s’accordent pas sur le périmètre géographique habité par ce peuple qui n’est par ailleurs mentionné dans aucun écrit retrouvé. La plupart le placent dans l’actuelle Côte d’Or et plus précisément dans l’Auxois (entre le Morvan et le plateau de Langres) ou l’Avallonnais (dans l’Yonne entre le Morvan et les plateaux de l’Auxerrois).
Alise-Sainte-Reine : une hypothèse très ancienne
A l’époque carolingienne (IXesiècle), un moine, Eric d’Auxerre assimile Alise à Alésia. Avant tout, semble-t-il, en raison d’une ressemblance sémantique entre les deux toponymes plutôt que par des recherches étayées. Au milieu du XIXe siècle, une inscription gallo-romaine du 1er siècle est retrouvée sur le site sur un cartouche en pierre calcaire. Elle comporte le terme in Alisiia, même si elle ne concerne pas du tout la célèbre bataille qui mit aux prises Vercingétorix et Jules César. Sous le second Empire, de mai 1861 à 1865, Napoléon III ordonne que le site soit fouillé et plus particulièrement le Mont-Auxois. Les fouilles réalisées alors sont considérables. Dans les Actes du 21e colloque de la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer les 8 et 9 octobre 2011, Yann le Bohec mentionne quelques-unes des découvertes effectuées sur le site :
- Des défenses ponctuelles : huit grands camps (castra) et des petits camps (castella) en forme de polygone, semblables à tous les camps de l’époque augustéenne. Deux remparts de bois. Ces deux enceintes parallèles entouraient complètement la colline d’Alésia.
- Des monnaies en deux lots. Des monnaies gauloises à l’effigie de Vercingétorix et des autres chefs qui lui étaient alliés : Tasgetius, Litavicus, Epasnactus et Dubnorix (Dumnorix). Des monnaies romaines dont aucune n’est postérieure à 54 avant J.-C.
- Des armes dont il est difficile de déterminer lesquelles appartiennent aux gaulois et lesquelles ont été utilisées par les Romains. Les fouilleurs de l’époque se sont surtout attardés sur les pièces d’artillerie.
Une équipe d’archéologues franco-allemands est venue fouiller le site présumé d’Alésia de 1991 à 1997. Elles ont fortement corroborées celles effectuées près de 130 ans auparavant. L’hypothèse d’une Alésia à Alise-Sainte-Reine est donc fortement attestée par les fouilles de terrain, dont les dernières ont été menées par 16 docteurs en histoire (dont deux chargés de recherche au CNRS). Le but ici étant à la fois de mettre fin aux querelles de clocher et de renouveler les connaissances archéologiques sur l’un des événements fondateurs de la mythologie nationale. Celle d’une défaite cuisante de l’un des derniers résistants au pouvoir romain de l’Imperator.
Une hypothèse concurrente cohérente : Alaise en Franche-Comté
Alésia en Franche-Comté dans le Doubs à 25 kilomètres de Besançon ? Le premier tenant de cette hypothèse est l’architecte Alphonse Delacroix. Le 10 novembre 1855 il présente un mémoire historique à une société savante du Doubs. Il s’appuie avant tout sur les textes anciens pour asseoir ses assertions.
Un peu plus tard d’autres spécialistes de géographie antique comme Ernest Desjardins et Jules Quicherat viennent corroborer cette thèse. C’est cette querelle qui décida, en partie, Napoléon III à fouiller le site d’Alise-Sainte-Reine avec le succès que l’on connaît. Auguste Castan, historien et archéologue français, se livre à des fouilles à Alaise dont il publie les résultats dans les Mémoires de la Société d’Emulation du Doubs. Il y découvre des objets qui viennent enrichir les collections archéologiques du musée de Besançon mais qui ne permettent pas de fédérer largement autour de sa thèse.
Une Alésia jurassienne ?
Cette hypothèse d’une Alésia jurassienne a été récemment remise au goût du jour par l’historien médiatique Franck Ferrand. Il situe la bataille à Chaux-des-Crotenay et Syam. Il a préfacé un opus sur le sujet intitulé Alésia la supercherie dévoilée paru en mai 2015. Il s’agit en réalité d’un ouvrage collectif sous la direction de Danielle Porte. Pour lui l’emplacement d’Alésia à Alise-Sainte-Reine est une version officielle attestée par, je cite, des mandarins. Tandis que les tenants d’une Alésia jurassienne représentent la frange méconnue des chercheurs.
Dans la préface de l’ouvrage suscité, Franck Ferrand les qualifie d’historiens de valeur recrutés hors du sérail. Dans une vidéo diffusée sur You Tube il revient sur la polémique d’Alésia. Elle est issue de l’émission Au coeur de l’histoire diffusée sur Europe 1. Il évoque notamment les fouilles de Napoléon III qui, selon lui, se sont déroulées dans des conditions discutables. Et parle d’une vieille tradition en faveur du Mont-Auxois à Alésia. Il y interviewe également François Sauvadet, président du conseil général de Bourgogne, à la veille de la construction du MuséoParc d’Alésia, centre d’interprétation.
La genèse de la polémique
C’est d’abord une tribune de Franck Ferrand dans le Figaro en mai 2014 qui met le feu aux poudres. Il y plaide en faveur du site jurassien. Quelques jours plus tard, toujours dans ce même média, trois chercheurs lui répondent. Il s’agit de Jean-Louis Brunaux, directeur de recherche au CNRS, de Jean-Louis Voisin, maître de conférences honoraire de Paris XII et de Yann Le Bohec, professeur émérite à l’université Paris IV Sorbonne.
Cette polémique donne aussi lieu à une passe d’armes entre l’historien et ses partisans et 25 archéologues qui répondent à leurs assertions. Ils s’appuient pour cela sur une série d’arguments étayés :
- Les sites fouillés à Chaux-des-Crotenay attestent d’une occupation agricole de l’Antiquité tardive et de l’époque médiévale. Aucune occupation antérieure n’est prouvée.
- Les objets et vestiges qui y ont été retrouvés datent tous du IIe siècle ou de la période médiévale.
- Des expertises de terrain effectuées par des géologues viennent contredire la possibilité que le site soit celui décrit pas les récits, notamment celui de Jules César.
La totalité de l’argumentaire est disponible sur Open Edition. Depuis la polémique semble s’être quelque peu éteinte.
Deux hypothèses méconnues : Izernore dans l’Ain et Novalaise en Savoie
Izernore
Dans un compte rendu des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres datant de 1906, Alexandre Bérard, député de l’Ain, prétend qu’Alésia se situerait sur le plateau où s’élève actuellement la commune d’Izernore dans la plaine de l’Ain non loin d’Oyonnax. Cette thèse connut un très faible écho. Baptisée isarnodorum à l’époque gallo-romaine il s’agit de la seule agglomération de ce type dans le Haut-Bugey. Elle est occupée dès le IIe siècle avant J.-C. par le peuple des séquanes. Peu à peu la ville grossit et abrite des thermes, un temple, des voies, des quartiers d’habitation, des boutiques et des villae périurbaines. Le temple demeure le seul vestige encore debout. Des traces d’un réseau d’aqueducs et d’égouts ainsi que d’une chambre de captage de l’eau de la nappe phréatique ont été mises au jour. Deux hypocaustes (systèmes de chauffage par le sol en vogue à l’époque romaine) ont aussi été découverts.
Mais nulles traces d’une bataille : ni armes, ni monnaies, ni oppidum n’ont été exhumés. Même si l’ensemble de la commune n’a pas été fouillé et que les fouilles se sont concentrées sur le temple et les villae. Seule le nom du club bouliste locale semble rappeler la potentielle origine mythique du lieu.
Novalaise
Encore plus méconnue que la thèse d’Izernore celle de Novalaise en Savoie est on ne peut plus confidentielle. Cette commune se situe près de Chambéry et du lac d’Aiguebelette sur les bords du Rhône. C’est l’architecte chambérien Théodore Fivel qui, le premier, évoque cette thèse dans une série de conférences publiées en 1866. Il se base sur le chapitre X livre III tome deux de l’histoire de Jules César. Et également sur des vestiges retrouvés aux environs de la commune :
- Des armes gauloises et romaines en bronze et en fer.
- Une masse de fer.
- Des fers de lance, un faisceau de dix douzaines de javelot.
- Des épées.
- Des fortifications allobrogiques (les allobroges étant le peuple gaulois qui occupait l’actuel territoire de l’Isère, du Rhône et des Alpes du Nord).
Ce texte a été numérisé sous la houlette de l’Université du Michigan.
Cette hypothèse ne trouva que peu d’échos à l’époque et même plus tardivement. A part Fivel aucun historien, même amateur, ne semble avoir tenté de pousser les investigations plus avant.
Alise-Sainte-Reine en Bourgogne semble donc bien le site de la bataille d’Alésia. A moins que d’autres fouilles ne viennent contredire cette thèse officielle. Encore faudrait-il savoir où chercher et sur quelles bases, les textes de l’époque étant peu prolixes et pour le moins imprécis. Le site du MuséoParc contribue à véhiculer l’imaginaire d’Alésia, plusieurs milliers d’années après ce qui fut l’une des batailles les plus mythiques de l’Antiquité.