La série Star Wars : The Clone Wars vient enfin de trouver son épilogue avec une saison 7 inégale et pourtant magistrale. Sa conclusion est excellente, et c’est en (très) grande partie grâce au meilleur personnage féminin écrit dans l’univers cinématographique de Star Wars : Ahsoka Tano.
L’occasion pour moi de revenir sur son écriture, sa différence avec l’autre tanche de Rey (permettez que je donne le ton), et sur le succès qu’elle aura auprès des fans.
Star Wars, Disney et les personnages féminins
Le problème des licences dites « pour geeks », c’est qu’elles sont généralement conçues par et pour des hommes et que l’ensemble des personnes observant et vendant ces œuvres pensent que les fans sont en majorité des hommes.
Et il n’y a rien de plus faux. Mais cette excuse est bien pratique pour ne pas trop se fouler avec l’écriture ou le Marketing derrière. Un des excellents exemples est clairement la saga Star Wars (cinéma et séries). L’écriture et la façon dont sont perçus ces personnages, ainsi que les réactions à ces réactions sont très éloquentes.
Rappelons rapidement les personnages importants des 3 trilogies, de Solo, Rogue One, de la série The Clone Wars, de la série Star Wars Rebels, ainsi que de The Mandalorian :
- Leia Organa (SW 4-5-6-7-8-9, Rogue One) (George Lucas)
- Padmé Amidala (SW 1-2-3, The Clone Wars) (George Lucas)
- Rey (SW 7-8-9) (JJ Abrahams et Disney)
- Rose Tico (SW 8-9) (Ryan Johnson et Disney)
- Jyn Erso (Rogue One) (Gareth Edwards et Disney)
- Qi’ra (Solo) (Ron Howard et Disney)
- Cara Dune (the Mandalorian) (Disney et David Filoni)
- Ahsoka Tano (The Clone Wars, Star Wars Rebels) (David Filoni)
- Asajj Ventress (The Clone Wars) (David Filoni)
- Sabine Wren (Star Wars Rebels) (Disney et David Filoni)
- Hera Syndulla (Star Wars Rebels) (Disney et David Filoni)
Sur ces 11 personnages féminins principaux, retenons que 7 ont un enjeu romantique, 5 finissent avec un mec. 2 seulement sont d’alignement mauvais. Toutes se battent à un moment ou à un autre, toutes ont une importance pour l’histoire et influent dessus, toutes sont des femmes indépendantes et fortes.
2 seulement vont déclencher les foudres des fans. Par sexisme ? Par racisme ?
Quand on parle de la présence des femmes dans l’univers Star Wars, on nous rétorque que Leia a été objectifiée par sa tenue d’esclave chez Jabba le Hutt, et qu’il aura fallut attendre Rey pour avoir un personnage féminin fort dans l’univers (voire au cinéma selon certains…). Non content d’effacer parmi les meilleurs personnages féminins créés de l’univers ciné, les défenseurs d’une certaine vision de Star Wars n’hésitent d’ailleurs pas à attaquer en procès sexisme et racisme toute personne s’en prenant à leurs deux héroïnes favorites… oubliant que l’un des personnages préférés des fans est… justement une femme.
Tous les excellents personnages féminins appréciés qui passent à la trappe
Excluons Leia Organa et Padmé Amidala. La première est un personnage féminin fort et moteur qui est un enjeu sexuel et affectif pour les protagonistes, la seconde est un personnage féminin fort et moteur qui disparaît dès qu’elle est conquise par le personnage le plus toxique de la saga (après avoir été un enjeu sexuel, affectif et névrotique par ce dernier).
Mais dans cette opposition entre Disney et les fans de Star Wars, dans ce procès en sexisme se cache en réalité le refus de voir les choses en face : Rey et Rose Tico n’ont pas été détestées parce que femmes, mais parce mal écrites.
Asajj Ventress, pour The Clone Wars, Sabine Wren et Hera Syndulla dans Star Wars Rebels et récemment Cara Dune dans The Mandalorian, sont quatre personnages féminins forts et très appréciés, bien menés, féministes et intéressants. Chacune explorant d’ailleurs l’écriture d’un personnage féminin dans l’univers, avec ou sans romance à la clef. Chacune avec des épisodes qui leur sont dédiés, des arcs puissants et des enjeux réels.
Et pourtant, on continue de dire que Rey est le premier personnage féministe de la saga, et que si vous ne l’aimez pas, c’est que vous êtes un phallocrate…
Le cas Rose Tico, le comic-relief-douceur-féminin qui vire au drame
Je vais commencer par elle, parce que cette histoire est vraiment dramatique et scandaleuse. C’est celle d’un personnage conçu pour de mauvaises raisons et très mal écrit qui va conduire une jeune actrice à se faire harceler par de gros cons racistes et misogynes. On ne va pas censurer son langage vu l’ampleur du phénomène, permettez.
Rose Tico est un personnage que l’on voit à partir de Star Wars épisode 8, et que l’on verra très peu dans l’épisode 9. Pourquoi ? Parce qu’entre-temps l’actrice s’est tellement fait harceler sur les réseaux sociaux par une poignée (et c’est ça le pire…) d’abrutis qu’elle en a quitté les réseaux sociaux et que la prod a voulu la protéger. À coups d’insultes racistes et sexistes, Kelly Marie Tran a vu son expérience Star Wars virer au cauchemar.
Kelly Marie Tran has deleted all the posts off her Instagram due to months of harassment she has received for her character Rose in #TheLastJedi pic.twitter.com/ipxdbDH30C
— Star Wars Facts (@SWTweets) June 5, 2018
Rien ne justifie ce qu’elle a vécu, et il fallait signaler cette affaire dans cet article. Mais le personnage de Rose Tico n’a pas posé problème à tout le monde pour les mêmes raisons, et d’autres n’ont rien à voir avec son sexe ou son origine, mais tout avec son écriture et les raisons de sa création.
Rose Tico est une femme forte, oui-oui, on a compris les gros sabots de Disney pour la nouvelle trilogie ; mais elle est surtout le comic-relief de l’épisode 8, l’élément « douceur » de la guerre, et l’enjeu romantique d’un des trois mecs principaux des nouveaux films. Et ce n’est pas une mauvaise interprétation de fans, mais clairement le créateur qui l’exprime ainsi. Rian Johnson explique que sa création est née d’une prise de conscience : le duo Poe et Finn en mission à Canto Bight serait trop ennuyeux. Pour occuper le spectateur, on fabrique donc un personnage féminin cliché et sans profondeur, puisque son but est esthétique. Dans un journal américain, le réal dira même :
« Il y avait quelque chose chez Kelly qui avait ce genre de véritable nature et de vraie douceur. Elle a le cœur le plus ouvert qui soit que je n’ai jamais rencontré et, je savais que cela allait faire sensation à l’écran. »
Rose est une femme qui se fait libérer par un homme, à qui elle apprend le sens du devoir et du sacrifice pour une cause, lui apprend à ne pas être trop brutal et à penser aux gens qu’il aime… et qui tombe amoureuse de lui, par la même occasion, n’hésitant pas à se mettre en danger pour lui.
Un mauvais personnage, doublé d’un mauvais personnage féminin… qui en plus a une écriture profondément sexiste. Ne pas l’aimer n’a rien à voir avec de la misogynie, sa création en revanche…
Rey n’est pas un bon personnage féminin ou féministe
Rey n’est même pas un bon personnage.
Je fais clairement partie des gens qui pensent que le personnage de Rey dans les nouveaux Star Wars est écrit avec le cul, un jour de gastro. Allez savoir si c’est parce que j’écris moi-même ou si c’est parce que je suis fan de Star Wars, mais je vomis cette non-création. Disney, la Presse et une partie des spectateurs ont pris la défense de cette « divergence dans la Force » en expliquant que la détestation des gens à son encontre était… du sexisme. Car, oui, dire de Rey est une Mary Sue [1] serait non pas l’expression d’un désir d’un personnage cohérent et bien construit, mais un refus de voir le personnage principal être une femme « de pouvoir ».
Pour Disney, un personnage féminin fort et féministe serait donc un personnage principal capable instinctivement d’utiliser la Force avec succès, pilote tout aussi instinctive hors pair appréciée immédiatement des personnages les plus importants de la Rébellion (et, comme c’est cocasse, de la saga originale), au passé et lignage mystérieux, à la destinée tout aussi mystérieuse et enjeu sexuel et romantique immédiat des deux sur trois personnages masculins principaux. Un personnage qui a un rôle clairement établi : montrer que « les femmes aussi peuvent le faire », et qui le verbalisera directement dans l’épisode 7 au cours d’une scène où Rey « casse la gueule à Poe », avant de lui dire qu’elle n’a pas besoin de lui.
Quand Star Wars : Le Réveil de la Force sort, les médias vendent immédiatement Rey comme « le personnage féministe tant attendu dans l’univers, voire au cinéma ». Partout fleurissent des articles nous assurant que la franchise était rentrée dans l’ère post-MeToo, qu’enfin les femmes auraient leur place dans les étoiles. Mais, rapidement, les gens ayant vu le film se rendent compte de la supercherie, les critiques fusent, la levée de boucliers est directe : si tu n’aimes pas Rey, c’est que t’es un gros con sexiste. Ou une femme qui a intériorisé le patriarcat.
La carte « sexisme » étant tirée par les communicants et leurs émules sur Twitter, la communauté Star Wars était frappée du sceau infâme et plus besoin d’en parler, et certainement plus besoin de tenter de rattraper le coup avec cette Rey du cul.
Disney avait donc carte blanche pour continuer d’élaborer ce qui allait être – personne n’en doutait – la première vraie femme forte de l’univers Geek (Ellen Ripley et Sarah Connor apprécieront).
La nouvelle héroïne-badass-féministe terminera donc sa course folle dans les étoiles en tombant amoureuse d’un mec, qu’elle tente de ramener du côté des gentils grâce à sa force de caractère et à sa sensibilité… Un destin original pour un personnage féminin, qui laissera sans nul doute à toutes les petites filles l’idée que peu importe ton rôle dans une saga, il est surtout de finir à la colle avec un mec à problèmes que tu dois en plus gérer. Original et tellement GirlPower.
Un énorme merci à Disney de nous apprendre que leur féminisme n’a rien de plus à offrir que le vieux cinéma patriarcal d’hier.
Pendant ce temps, totalement invisibilisée par le pinkwashing de Disney, Ahsoka Tano, personnage féminin fort de son état, conquérait les fans de la franchise, jusqu’à revenir dans une seconde série animée (Star Wars Rebels) en tant que personnage-mentor-légendaire… et devenir le personnage principal de la saison 7 de The Clone Wars.
Ahsoka, les hommes et la Force
George Lucas veut un padawan pour Anakin Skywalker. Il veut montrer comment le Anakin boudeur, impulsif et obsédé par Padmé devient un Anakin plus affirmé, isolé et toujours obsédé par Padmé.
Il s’agit donc de faire grandir Skywalker, d’en faire le jedi respecté par Obi-Wan que ce dernier racontera à Luke dans l’épisode 4. Pour répondre à ce besoin, David Filoni créera en 2008 Ahsoka Tano, jedi de 14 ans au début de The Clone Wars.
Première différence d’avec Rey (ou Rose), Ahsoka n’est pas créée dans le but d’incarner quelque chose pour le spectateur. Elle a été créée pour avoir un rôle vis-à-vis de l’histoire et des autres personnages.
Pour sa conception, le réalisateur que, n’ayant aucune connaissance de la façon dont réagissaient réellement les jeunes adolescentes, il se décide à écrire Ahsoka du seul point de vue dont il est certain : celui d’un jedi.
Deuxième différence d’avec Rey (ou Rose), Ahsoka n’est pas conçue en tant que femme. Son genre n’est pas un enjeu, ce qui ne l’empêchera pas d’aborder la question de la marchandisation des femmes dans l’univers (en se faisant passer pour une esclave), ou de la romance possible entre un jedi et un non jedi (sans que cela ne définisse ni le personnage, ni ne termine en histoire à l’eau de rose.)
Elle est donc une jeune fille que l’on voit évoluer durant la Guerre des Clones. Que l’on voit grandir et s’affirmer aux côtés notamment de deux hommes forts comme Obi-Wan Kenobi et Anakin Skywalker, deux hommes dont elle s’affranchira, d’ailleurs.
Car, même si Ahsoka est rattachée jusqu’au bout à Anakin, toujours mise en perspective, soumise aux mêmes tentations que lui (celles du pouvoir, car c’est un jedi exceptionnel, celui du Côté Obscur, celui de l’amour, etc.), elle prend totalement son indépendance. Ahsoka réussit là où Anakin échoue, non pas parce que c’est une femme protégée par la vague girly de Disney, mais parce que le personnage est construit comme étant suffisamment sage et résilient pour tirer l’enseignement de ses errements et de ceux du Conseil Jedi.
Ahsoka n’a pas pour vocation d’être soi-disant un personnage principal qui finit par sauver le mâle emo principal, et donner lieu à des milliers de fanfictions douteuses, quitte à devenir le faire-valoir de ce personnage. Elle commence sa « carrière » dans le but de soutenir le grand Gary Sue de la saga, et le sublime, jusqu’à le reléguer, lui, au rang de personnage secondaire. Et tout ceci est fait sans de gros sabots pour nous exhorter à remarquer les efforts soi-disant féministes de l’entreprise derrière.
Côté rapport à la Force et combat, c’est une jedi puissante et accomplie, douée aux sabres, qui pilote convenablement, sait réparer deux/trois trucs, et maîtrisant plutôt bien voire très bien la Force. À la fin de son évolution, on la voit capable de rivaliser avec de grands maîtres Siths, être respectée des autres clones, accéder au statut militaire de Commandant.
Mais Ahsoka a suivi toute sa vie durant un entraînement pour ça, commence la guerre des clones à 14 ans et ne connaîtra plus jamais rien d’autre que la guerre ensuite, est formée par les meilleurs chaque instant de sa vie. Sa puissance n’a rien d’un don, elle est régulièrement remise en perspective soit par rapport à d’autres personnages, soit par rapport à des problématiques soulevées par le scénario.
C’est une femme forte parce que le personnage d’Ahsoka est un personnage fort.
On ne nous le dit pas. On nous le montre durant 7 saisons et deux séries différentes.
Pourquoi Ahsoka Tano est considérée comme le meilleur personnage féminin de Star Wars ?
Sans doute parce qu’il s’agit du personnage le plus élaboré de toute la saga. Il n’existe que deux figures que l’on voit être développées durant autant de temps, sur une tranche d’âge aussi large que l’enfance à l’âge adulte et il s’agit d’Anakin et d’Ahsoka. Le Maître et son Apprentie.
Je doute, après avoir beaucoup vu le travail de David Filoni, que cela soit un hasard. Je l’ai mentionné plus haut, mais l’un et l’autre entrent en résonnance. Ahsoka a le parcours qu’Anakin aurait dû avoir s’il avait été repéré aussi jeune. Elle nous permet de voir ce qu’il y a de meilleur en lui, puisqu’on le voit si bon Maître, justement. Mais aussi tout ce qu’il a pu rater, là où elle va réussir à rester du côté lumineux de la Force. Nous avons tout le temps de nous attacher à elle et de la comprendre.
Et pourtant, les premiers épisodes nous présentent une ado très énervante (et énervée) qu’on se dit ne pas regretter de ne plus la voir dès l’épisode 3. La bascule s’opère à mesure que le duo apprend à se connaître… mais aussi que la série trouve son ton si sombre et adulte tant apprécié.
En nous permettant de la voir apprendre, douter, se tromper, réussir, David Filoni nous permet de mieux saisir les enjeux importants pour ce personnage, et donc de nous investir émotionnellement avec lui.
Peut-être que si Rey avait pu bénéficier d’un traitement aussi long, les critiques auraient été différentes ? Si ça se trouve, 7 saisons sur comment elle survie dans le désert à troquer de la ferraille auraient pu expliquer comment elle peut se retrouver propulsée sur le devant de la rébellion et finir par détruire l’Empereur sans même perdre un membre ? (Exploit que ni Luke ni Anakin n’ont pu réaliser, malgré tout leur Gary-Sue Attitude).
Bonus : Une série Live Action en préparation pour Ahsoka Tano ?
Il semblerait qu’il y ait encore à dire sur ce personnage, puisqu’il se murmure depuis quelques mois qu’une série en Live Action serait en préparation, centrée autour d’Ahsoka.
Nous savons déjà qu’elle viendra faire un coucou dans la série « The Mandalorian » (du même réalisateur, donc), campée par Rosario Dawson (ce qui est, à mon avis, un excellent choix). Mais Daniel Richtman, journaliste à CNBC affirme que l’actrice pourrait bien reprendre le personnage dans une série entièrement centrée sur elle. Ce qui motive à le penser serait qu’une série dirigée par Leslye Headland, avec un personnage féminin en personnage principal verrait le jour.
On pourrait imaginer que cela serait Rey, Jyn ou Leia, mais ça serait bêtement oublier quel personnage féminin est le plus présenté ces dernières années.
À prendre avec des pincettes, donc, mais clairement pas impossible.
Une preuve supplémentaire, s’il en fallait, que ce personnage est, si ce n’est le meilleur, considéré comme le plus exploitable de toute la saga.
(Prends ça Rey)