Dans un climat social, politique et économique extrêmement tendu, le 1er mai s’annonce très compliqué à cause de la crise du Coronavirus et du confinement. Impossibilité de défiler à l’occasion de la « Fête du Travail », difficulté à vendre le muguet cultivé tout le reste de l’année, à différents niveaux ce 1er mai sera particulier.
La journée internationale des travailleurs n’aura jamais si bien porté son nom
Si en France on appelle communément le 1er mai « Fête du Travail [et de la concorde sociale] », merci au Maréchal Pétain, elle était à l’origine connue sous le nom « Fête des travailleurs [et des travailleuses] ». Mais pour le régime de Vichy et son inénarrable « Travail, Famille, Patrie » fleurant bon « L’union sacrée » en temps de guerre, l’expression d’origine était beaucoup trop connotée « lutte des classes ». Et nous étions à une époque où toute allusion au communisme était particulièrement mal vue. Surtout quand on est un allié du IIIe Reich. Hors de question pour les pouvoirs en place, jusqu’à encore aujourd’hui, de laisser cette sémantique historique et hautement politique perdurer. Des fois que… ?
Mais, dans cette idée de commémorer la lutte des classes et les luttes travaillistes pour l’amélioration des conditions de travail, partout en France de grandes manifestations ponctuent cette journée particulière, à l’appel des syndicats, notamment ceux se réclamant de cet héritage. L’occasion, au passage, de faire valoir les revendications d’aujourd’hui au nom des avancées d’hier.
Alors, en plein confinement qui oblige la population active à soit télétravailler, être au chômage partiel, soit pour les plus pauvres et les métiers essentiels à continuer de bosser dans des conditions parfois discutables, ce 1er mai revêt autant de symbolique que d’attentes frustrées.
Travailleurs dans l’incapacité de pouvoir défiler, maraîchers dans l’incertitude quant à l’écoulement de leurs stocks de muguet et pérennité de leur activité, cette année la « Fête du Travail » pourrait être renommée : « Fête de l’Activité Partielle ».
Pour sauver le Muguet, pas de vente à la sauvette
Il est de coutume d’acheter et offrir du muguet à l’occasion du 1er mai. Exceptionnellement, l’État permet depuis des années à n’importe qui de vendre sur la place publique, sans taxation ni structure juridique, du muguet contre quelques euros. Ces « ventes à la sauvette » qui font généralement le bonheur des enfants voyant là leur premier travail seront, cette année, totalement interdites.
À la fois par mesure de précaution liée à la crise du Covid, mais aussi pour permettre de sauver tout un secteur durement impacté : celui des maraîchers et horticulteurs, elles ne pourront avoir lieu. Malheureusement pour les fleuristes et les producteurs de muguet, ces commerces ne sont pas considérés comme essentiels et ils ne devraient pas voir leurs magasins d’ouverts, et ce, malgré une demande de dérogation faite par la fédération française des artisans fleuristes (FFAF), rejetée à ce jour par le Gouvernement.
https://twitter.com/Europe1/status/1252487275361026048
Au micro d’Europe 1, Didier Guillaume, le Ministre de l’Agriculture déclarait ainsi le 21 avril que la vente à la sauvette serait interdite, les fleuristes fermés, mais qu’il « appelait » les gens à acheter du muguet par correspondance ou drive. Il ajoute, toujours chez Europe 1, que le muguet pourra être vendu dans des magasins encore ouverts comme les boulangeries ou boucheries. Une idée qui a fortement déplu au FFAF, par la voix de Florent Moreau, interrogé par l’AFP :
« En aucun cas, un buraliste, un boucher ou un boulanger ne peut vendre du muguet » clame-t-il avant d’ajouter « chacun son métier ! »
De son côté, la fédération des maraîchers nantais (où pousse plus de 80% du muguet vendu en France) estime que pas loin de 70% des 60 millions de brins habituellement vendus seront perdus. Soit, d’après elle, entre 20 et 30 millions d’euros de chiffre d’affaires… générés par des milliers de travailleurs saisonniers et artisans.
Ce 1er mai sera décidément « la fête aux travailleurs ».
Manifs dématérialisées pour réclamer plus de (moyens) matériels
Du côté des militants et citoyens en tout genre privés du traditionnel défilé du 1er mai, on s’organise également. Si là il n’est pas question de vendre du slogan par correspondance, on voit un peu partout sur les réseaux sociaux des appels à la manifestation en ligne fleurir. Sur Facebook, différentes associations militantes politiques Lyonnaises ont lancé une page « Fête du Travail Confiné – Lyon ». Côté syndicats, la tendance est plutôt à la « manif sur balcon ». Dans un tweet, la CGT publie son communiqué de presse et son modus operandi :
Même confiné.e.s, manifestons toutes et tous le 1er-Mai, avec des pancartes, banderoles ou en envahissant les réseaux sociaux (…) et donnons à cette journée une véritable force collective ! pic.twitter.com/sQMgkhLCuu
— La CGT (@lacgtcommunique) April 20, 2020
Mais dans son appel, la CGT propose de jouer de la pancarte et de la banderole, omettant les cas de plus en plus croissants de personnes interpellées parce que ces dernières seraient « outrageantes »…
Vous l’aurez compris, pour le 1er mai de cette année, vous serez priés d’acheter votre muguet par correspondance auprès de votre buraliste favori. Munissez-vous de l’interview de notre Ministre de l’Agriculture et de votre attestation, cochée « participation à des missions d’intérêt général sur demande de l’autorité administrative ». Au soir venu, de préférence à 20h pour que cela se fonde parfaitement bien avec les autres applaudissements, merci d’aller sur votre balcon crier vos revendications, avec des banderoles et slogans garantis 100% sans outrage.
Et silence jusqu’à l’année prochaine.
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